Social

Lanterne de l’espoir au bord du fleuve Cisadane

Yasir Sani, travaille à Partnership for Good Governance.

À l’occasion du Peace Forum à Paris en novembre 2019, j’ai eu l’occasion de visiter différents coins de cette ville en dehors de l’événement, en compagnie d’une membre de l’association Réseau Indonésie. Un après-midi, j’ai été emmenée dans un quartier appelé le 13e. Le plan était d’aller manger ensemble dans un restaurant asiatique de cette partie de la ville. « C’est une sorte de pecinan[1] en France », a expliqué Mme Iba de Réseau Indonésie. Chaque printemps, il y a une fête ici, le carnaval des dragons », a-t-elle ajouté. En effet, le long de l’avenue d’Ivry, où nous nous sommes promenées, il y a des restaurants et des boutiques asiatiques à droite et à gauche de la route.

Ma mémoire a ensuite dérivé sur une femme que je connais sous le nom de Mme Henny Liem. Une femme à la peau blanche, aux yeux bridés, de grande stature vue d’un Indonésien et à la voix amicale. Dès lors de notre première rencontre, elle a lancé plusieurs plaisanteries, ce qui a rendu l’atmosphère du dialogue fluide et pleine de rires. C’est ainsi que j’ai rencontré pour la première fois Mme Henny Liem, la porte-parole des femmes de la communauté chinoise de Benteng, en 2015 lors de ma première visite au Kampung Benteng, un quartier situé dans la commune Mekarsari, district de Neglasari, ville de Tangerang, en Indonésie, qui est habitée par des personnes d’origine chinoise et entourée d’un fort construit depuis l’époque hollandaise.

Je ne vais pas vous raconter l’histoire de comment ils en sont arrivés à vivre ici, cela sera mieux expliqué par des historiens qui ont étudié la question. Le fait est qu’ils vivent sur le territoire de l’Indonésie et font partie du peuple indonésien. Il est donc impératif que le gouvernement indonésien prenne également soin d’eux. Cependant, selon de nombreuses informations que nous avons trouvé, ils ont reçu un traitement discriminatoire de la part du gouvernement, ce qui leur a causé des pertes. Pour cette raison, le Partnership for good gouvernance, l’institution dans laquelle je travaille, a accepté de soutenir le travail du Centre de développement des ressources pour les femmes (PPSW) et fournir une assistance aux groupes de femmes de ce village pour développer leur autonomie. C’est pourquoi je suis venue à Neglasari cet après-midi-là.

Ce jour-là, les femmes du quartier du Benteng[2] se réunissaient pour discuter du projet de création d’une coopérative. Une quinzaine de dames chinoises de ce quartier, âgées de 27 ans à 70 ans participaient à cette réunion. Tout le monde était enthousiaste pour parler, et j’ai noté quand elles s’exprimaient que chaque phrase était toujours entrecoupée de rires. À ce moment-là, je me demandais si le rire était un moyen de surmonter la vie amère qu’elles enduraient. Cette pensée m’est venue tout à coup, parce que pour être honnête, même si les habitants de ce quartier étaient appelés « chinois », leur apparence était loin de l’apparence des chinois que nous voyons dans le film « Crazy Rich Asians » de Jon Chu, avec Michelle Yeoh.

Au début de la réunion, Mme Henny a présenté chaque personne assistant à la réunion. Comme d’habitude, j’en oublie toujours quand beaucoup de noms sont mentionnés, même si j’ai essayé de les écrire dans mon petit cahier froissé. De plus, chaque nom mentionné contient des éléments de noms chinois que mes oreilles ne sont pas assez entraînées à entendre. Ensuite, nous nous sommes présentées les unes aux autres ; Mme Henny a commencé à parler des activités que ces dames avaient menées pour leur village, notamment en expliquant leurs actions dans l’organisation du posyandu (centre de services de santé) et en aidant les résidents quand ils voulaient faire une demande de carte d’identité. Ces cadres ont ensuite été invitées à parler de leurs expériences. En parlant du moment où elles sont entrées pour la première fois dans l’hôtel de ville, certaines disaient qu’elles transpiraient, certaines se sentaient toujours non présentables ou mal habillées ; il y en a même qui ont fait demi-tour. Bref, ce n’était pas facile pour elles. De petites histoires s’échappaient, une par une, parfois entrecoupées par des rires sur les parties tristes. J’ai écouté patiemment parce que c’était mon intention en venant à cet endroit ce jour-là.

La température de l’air montait petit à petit dans la cour de la résidence d’une des ces dames, où la réunion se tenait. On ne pouvait nier que nous transpirions toutes un peu, lorsque les dames devenaient de plus en plus enthousiastes ; beaucoup voulaient parler de leurs expériences sur les difficultés à obtenir des certificats de mariage, certaines n’avaient même pas de certificat de naissance. En apparence, tout semble fait pour leur procurer un sentiment d’infériorité en tant que chinois habitants de ce quartier de Benteng, qui se trouve sur le bord du fleuve Cisadane, le fleuve qui divise la ville de Tangerang avec une histoire vieille de plusieurs siècles. Cependant, les divers problèmes individuels qui se sont posés en fin de compte illustrent l’existence des problèmes structurels à résoudre. Leur existence en tant que partie de l’Indonésie est toujours contestée même s’ils sont sur le sol indonésien depuis des générations. La présence de notre organisation ici est là pour attirer l’attention du gouvernement local pour qu’il aborde cette question. La loi n° 12/2016 sur la citoyenneté, article 4, alinéas i) et k), stipule qu’une personne est un citoyen indonésien si : (i) elle est née sur le territoire de la République d’Indonésie, et au moment de sa naissance, le statut de nationalité du père et de la mère n’est pas connu; (k) elle est née sur le territoire de la République, alors que le père et la mère n’ont aucune nationalité ouqu’on ignore l’origine des parents. Cet alinéa a été stipulé pour répondre au problème de population non-documentée causé par la négligence de l’État qui court depuis des générations. De plus, dans la pratique, les lois au niveau national ne sont souvent pas mises en œuvre sur le terrain en raison d’un manque de sensibilisation des responsables politiques. Ce programme d’inclusion a été conçu pour garantir que les promesses de la campagne présidentielle se réalisent, en veillant à ce que la justice soit ressentie par plus de gens.

Ensuite, après les nombreuses histoires que ces dames ont racontées, j’ai eu la chance de leur demander, pourquoi devaient-elles créer une coopérative ? N’est-il pas vrai que les coopératives ont subi une stigmatisation ? Elles portent souvent le nom de coopératives BPKB[3], de coopératives voyous et autres. Tout le monde se tût, semblant hésiter à répondre. Enfin, Mme Henny a répondu qu’avec la coopérative elles espéraient avoir des activités, et à la fin pouvoir financer l’entreprise pour aider l’économie de leur famille. Cette réponse m’amenait à une autre question : quels sont les métiers de ces dames actuellement ? En riant, Mme Henny a répondu que la plupart des gens ne travaillaient pas, et qu’elles passent leur temps en jouant aux cartes. En écoutant cette réponse, spontanément j’ai dit « Alors… Cela signifie qu’il y a une reine aux cartes parmi nous, madame… » Puis, l’air s’est comblé de rire, et ces dames se désignèrent les unes et les autres pour choisir qui était la reine.

Après cette petite rigolade, j’ai demandé combien il y avait de membres et quel était le capital détenu par la coopérative. Avec sérieux, Mme Henny répondit en feuilletant à la hâte son livre financier. Son visage commençait à rougir, peut-être à cause de la panique ou de la température chaude. Enfin, Mme Henny a expliqué qu’il y avait à ce jour-là 30 adhérents et un capital de trois millions de roupies[4].

Ensuite, Mme Sur, une membre du PPSW, a ajouté qu’elles étaient en train de faire une demande d’inscription au Bureau de coopérative de la ville de Tangerang, et que les équipements appartenant à la coopérative sont un ordinateur portable et un livre de registre pour enregistrer les entrées et sorties financières. Les explications de Mme Henny et Mme Sur ont augmenté ma curiosité quant aux entreprises gérées par les membres de la coopérative. Les femmes qui ont participé à la réunion ont répondu à l’unanimité qu’elles pouvaient faire divers commerces s’il y avait un minimum de capital pour commencer. À tour de rôle, et parfois en retour, elles expliquaient les opportunités commerciales qu’elles voyaient. Mais en général, leur travail consiste à fabriquer des gâteaux, à faire de la couture, gérer une épicerie, ou à vendre des vêtements ou de la nourriture de manière ambulante. La coopérative serait un nouvel espoir pour les mères de mieux commencer leur vie, étant donné qu’elles n’ont pas accès à une banque. Encore une fois, c’est un impact de leur situation en tant que population non documentée.

Voilà la condition des femmes de la communauté chinoise du quartier Benteng en 2005. Aujourd’hui, la coopérative Lentera Benteng Jaya a déjà une qualité juridique du ministère des coopératives facilitée par le bureau coopératif de la ville de Tangerang. Précisément en 2015, la coopérative Lentera Benteng Jaya pour le développement des ressources pour les femmes (KPSW Lentera Benteng Jaya) a obtenu une qualité juridique avec le numéro de registration : 25/BH/XI.5/ INDAGKOP/2015. Cette coopérative a bien fonctionné en tant que coopérative d’épargne et de crédit et a un rôle de coopérative inclusive, car elle n’est pas réservée aux citoyens chinois du quartier Benteng, mais concerne tous les habitants des communes de diverses ethnies, religions, niveaux sociaux ou types d’emplois, tous ensemble pour construire une vie meilleure.

Le succès de la coopérative est indissociable de la figure de Henny Liem, présidente de KWPS Lentera Benteng Jaya, qui a commencé par aider les gens à faire leur demande de carte identité et d’autres papiers légaux, ainsi que des activités économiques. Cette femme au fort caractère s’est occupée de la coopérative et a décidé que son adhésion était ouverte. « Dans le passé, elle était une femme au foyer qui ne participait à aucune activité en dehors de sa maison. Mais maintenant, elle est devenue une femme active en tant que présidente de coopératives, chef de posyandu et d’autres activités dans la commune de Mekarsari. Elle participe souvent à des formations et à d’autres activités organisées par le gouvernement de la ville de Tangerang ».

Cette reconnaissance est venue de Mme Sridian, secrétaire du village urbain de Mekarsari. Selon elle, il y a eu un changement significatif chez les femmes de la communauté chinoises du quartier Benteng après le Program PEDULI[5], dont une de ses mesures est la création de la coopérative Lentera Benteng Jaya (LBJ). Cette coopérative est un moyen pour les femmes de se rencontrer dans des activités coopératives et d’augmenter leurs capacités grâce à la formation sur les coopératives, le leadership des femmes et le renforcement des compétences. « Tout cela pour que les femmes soient plus indépendantes et plus autonomes », a-t-elle déclaré.

Les lanternes rouges accrochées en ligne dans la salle de service public du bureau de la commune Mekarsari sont un signe que la communauté des femmes chinoises Benteng a obtenu la reconnaissance de son existence. Lors de la célébration du Nouvel An chinois en 2019, le maire a ordonné que l’allée menant au temple soit décorée aussi joyeusement que possible (Republika, 7 février 2019). La lutte des femmes chinoises de Benteng n’a pas été vaine. La reconnaissance de l’Administration pour l’obtention des droits fondamentaux, sous forme de délivrance de carte d’identité (KTP) et de livrets de famille (KK) ainsi que des certificats de naissance, a enfin été obtenue par la communauté chinoise de Benteng.

En outre, Mme Henny, en tant que représentante de la coopérative, a été invitée à discuter avec le gouvernement du village, où il y a un plan de relocalisation des résidents, pour lequel jusqu’à présent la date de mise en œuvre n’a pas été déterminée. C’est quelque chose de nouveau pour Mme Henny, car elle n’avait jamais été invitée à discuter du plan de développement dans la commune où elle vit. Il existe plusieurs options proposées par le chef de commune Mekarsari et le gouvernement de la ville de Tangerang. À ce propos, Mme Henny a déclaré qu’elle ne s’opposait pas à l’idée de déménager à condition que le nouveau lieu soit dans le même sous-district, et qu’il offre un espace pour les activités économiques des résidents et qu’il y ait toujours des ornements qui montrent leur identité en tant que communauté chinoise du Benteng. Cette demande montre qu’ils ne veulent pas simplement accepter passivement. Ils montrent aussi une ténacité pour obtenir la reconnaissance de leur existence et de leur culture, de maintenir ce qui a été obtenu grâce à un processus de long dialogue, de sorte qu’il y ait une reconnaissance juridique par la ville de Tangerang en désignant le Quartier chinois de Benteng comme un village culturel.

Impliquer les groupes vulnérables par le biais de stratégies d’inclusion sociale est très important afin de rendre une justice accessible à tous les niveaux de la société pour parvenir à une prospérité mutuelle. L’expérience du groupe de femmes Cina Benteng à Tangerang montre que le succès du changement social n’est pas seulement dû à des politiques impartiales, mais aussi à la conscience critique de la communauté dans l’amélioration de ses conditions de vie. Les politiques qui prennent parti les maintiendront dans un esprit qui ne cesse de poursuivre « l’espoir ». Et avec cet esprit, ils sont capables de changer leur vie et de contribuer à la prospérité mutuelle.

Traduit par Mulyandari Coetmeur

Relu par Naïla Roland

[1] Pecinan signifie quartier chinois

[2] Le nom « Benteng » qui signifie forteresse

[3] BPKB (bukti kepemilikan kendaraan bermotor), preuve de propriétaire de voiture motorisé. « Koperasi BPKB » signifie une coopérative qui se comporte comme prêteur à gage, prêter de l’argent avec un intérêt élevé. On dépose BPKB comme garantie pour avoir le prêt.

[4] Soit environ 175 euros.

[5] Le programme mis en place par PPSW soutenu par Partnership et administration de la ville de Tangerang.

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